Guy Duplat
LA CHORÉGRAPHIE SUBTILE D'OLGA DE SOTO

Olga de Soto créé pour la Biennale de Charleroi/Danses son « solo accompagné n°3 »
Une chorégraphie d’une grande subtilité sur la trace, la mémoire et la perception.

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Olga de Soto avait commencé sa carrière de chorégraphe par des solos et par un compagnonnage avec la musique contemporaine. En 2002, elle change de cap avec « Eclats mats » créé au Centre Pompidou à Paris où elle a souvent travaillé avec les musiciens de l’IRCAM, le centre de recherche en musique contemporaine dépendant de Beaubourg. Avec Eclats mats, qu’on redonnera dans le cadre de la Biennale de Charleroi, les 13 et 14 avil, elle change son travail, sépare la musique de la danse (il y a « un temps poru la vue et un temps pour l’ouïe », dit-elle) et utilise cette fois la matière chorégraphique amenée par ses danseurs à qui elle propose de créer au départ de définitions de verbes. Elle ne garde alors comme chorégraphie que les traces qu’ont laissées les contacts physiques entre danseurs.

Sur le plateau, la solitude règne. Son travail subtil porte sur la mémoire physique et visuelle : que garde-t-on en mémoire dans nos mains, nos corps et notre tête ? Reste-t-il dans les corps une présence de l’autre, en creux ? La musique et la danse séparées se rapprochent cependant et se croisent finalement.

Ce spectacle connu un beau succès et Olga de Soto a décidé alors de s’emparer à nouveau des matériaux d’Eclats mats pour les recycler autrement, dans une suite de trois “solos accompagnés“, comme elle les appelle, et qui s’enchaînent.

Le premier solo s’appelle « incorporer » et tourne autour de la définition de ce verbe. Il s’agit d’incorporer des éléments d’Eclats mats, à partir des éléments fondamentaux (l’eau, l’air) qui appairessent sur scène sous forme de clepsydres, de ballons, mais aussi le souffle du danseur et le corps composé d’eau. Le soliste est accompagné par un second danseur, à côté, dans la pose de l’observateur portant un regard sur ce qui se fait, soutenant le premier danseur par sa seule présence. Le son est capté au plus près du danseur, avec son souffle, ses déglutitions, fortement amplifiés.

Dans un second « solo accompagné », le « jeu » continue. L’accompagnateur du premier solo (Olga de Soto elle-même) devient cette fois la danseuse. Et un autre accompagnateur apparaît. Le solo s’appelle ici « Incorporer ce qui reste », c’est-à-dire les éléments du premier solo, mais revus cette fois à travers la tête. Ce n’est plus seulement ce qui est tangible qui est montré, mais l’intangible, la question de l’oubli et de la mémoire, de ce qui reste en tête et qui remplace la réalité. Même le son du premier solo est réinterprété et rediffusé.

Avec le troisième solo qui sera créé vendredi et samedi, le  « jeu » est bouclé. Le titre révélateur du contenu devient « Incorporer ce qui reste ici au cœur ». Après les traces sur le corps dans le solo 1, le souvenir dans la tête pour le solo 2, c’est la mémoire du cœur cette fois, le sentiment et l’émotion. L’observateur silencieux et caché des deux premiers solos, celui qui jouait le rôle du « tiers » devient le danseur et vient perturber les souvenirs et recycler encore autrement les matériaux de base.

Cette structure subtile et intelligente, s’apparentant souvent à la danse minimale et conceptuelle, est passionnante quand elle pose de manière aussi délicate les questions essentielles de la danse et du rapport entre corps, esprit, mémoire et cœur.

Guy Duplat, La chorégraphie subtile d'Olga de Soto, La Libre Belgique, 22 Mars 2007