Marie Baudet
GESTE ET PARTITION EN DIALOGUE INÉDIT
Le plateau des Tanneurs, entièrement dégagé, avoue des béances, un surcroît de perspective dont la pièce tirera le joli parti d’une ligne de fuite. Des cintres pleuvent des sacs d’eau. Suspension translucide, menace ou promesse. Habiter un tel espace, s’inscrire dans le moment, sublimer l’écoute : le spectacle d’Olga de Soto – créé en juin dernier au Centre Pompidou, à Paris, donné en première belge mardi et mercredi, à Bruxelles – conjugue des défis avec celui, cher à la chorégraphe, d’installer entre danse et musique un dialogue qui échappe à la seule volonté de « faire corps » ensemble. Trois danseurs (Vincent Druguet, Edith Christoph, Florence Augendre) et un altiste (Garth Knox) concrétisent l’entreprise, mariant mouvement et toucher de l’archet aux compositions de Salvatore Sciarrino (Sicile, 1947).
Une sourdine d’abord, venue de la coulisse, se mêle à un trio d’impulsions, de chocs sourds sur le sol, de corps – vêtus en technicolor – brusquement segmentés. Le musicien a reparu, la lumière décroît, le noir se fait, l’ouïe se fond, s’aiguise, se glisse sur ces notes insaisissables dans une nuit complète – singulière alchimie d’où éclôt un or immatériel. Se dissipant, elle réveille la vue, révèle quatre regards, relance bientôt la danse. Une douceur diffuse, un humour sous-jacent, et surtout des tensions, une façon audacieuse et paisible de rudoyer les articulations, des « figures impossibles » tenues jusqu’au bout des forces – de même que la musique sans cesse aborde les rives du silence. Chair et notes, chorégraphie et composition : Olga de Soto continue d’explorer les pôles d’une réflexion qui chemine, en ses voies diverses, du temps à espace, du voir à l’entendre. Il y a dans « Éclats mats » une attente et des impatiences, du fugace et du terre-à-terre, du moteur et de l’action, des personnalités et la magistrale générosité du dépouillement. Enfin les câbles, dénoués, libèrent la clepsydre qui jusqu’au bout niera les parallèles obligatoires.
Marie Baudet, Geste et partition en dialogue inédit, La Libre Belgique, 17 Janvier 2002