S’il te faut repartir, prends appui contre une maison sèche. N’aie point souci de l’arbre grâce auquel, de très loin, tu la reconnaîtras. Ses propres fruits le désaltéreront.
Contre une maison sèche _ René Char
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Hontanar, est un duo chorégraphié et dansé par Olga de Soto et Pascale Gigon, dont la première présentation eut lieu le 14 juin 1996 dans le cadre de Thé Dansant, à Plateau, Bruxelles.
Thé Dansant était une manifestation hebdomadaire, initiée par Pierre Droulers, Barbara Manzetti, Ida De Vos et Olga de Soto, dont l’objectif principal était de donner un espace de dialogue et de création à des chorégraphes, des danseurs, des musiciens ou tout artiste de scène, afin de leur permettre de proposer une intervention chorégraphique, écrite ou improvisée, sous forme de performance et d’accueillir les réponses possibles à cette intervention.
Hontanar avait été créé dans ce cadre, en réponse à une intervention de David Hernandez, dans laquelle il proposait une suite de séquences où le personnage derrière lequel il semblait se cacher, se débarrassait des couches qui le protégeaient les unes après les autres (certains artifices d’habillement, d’objets…), faisant de chacune d’entre elles l’objet d’une séquence bien distincte. Formellement, son solo était basé sur la construction progressive de phrases dansées, fruit de l’accumulation et de l’addition de mouvements.
Comme réponse nous avons créé Hontanar en prenant comme point de départ le concept de déconstruction, que nous avons développé de manière progressive à partir d’une seule séquence de mouvements. La danse a été conçue à partir de l’image introspective d’un corps dans l’espace et de son rapport à l’autre.
AU SUJET DE LA FORME
Hontanar a été composé en une suite de cellules qui constituent une grande séquence, sans coupure. Nous avons transposé l’idée d’addition et d’accumulation, sur laquelle se basait David dans son rapport au mouvement, au rapport que nous avons établi avec l’espace : le plan frontal de départ est déplacé à chaque cellule, selon l’image du cadran solaire.
La déconstruction de la séquence, dansée au départ sur le plan vertical, debout, se développe au fur et à mesure à l’horizontal, au sol, puis devient construction progressive d’une séquence verticale en appui contre le mur, tête en bas. Ainsi, cette phrase “grimpée-coulée” au mur se développe comme une cellule de plus en plus longue à l’intérieur de la pièce, et produit un renversement dans l’espace. Nous avançons comme si chaque “brique” enlevée à la séquence initiale debout, servait, une fois modifiée et renversée contre le mur, à faire grandir ce noyau central jusqu’à la soustraction totale et la disparition des éléments de la phrase initiale.
Comme environnement sonore, une composition acousmatique faite d’éboulement de pierres est diffusée pendant toute la durée de la pièce.
Quand la phrase dansée debout ne contient plus qu’un mouvement, le cercle, composé des huitièmes de tour consécutifs, est clos. La boucle est bouclée et le son d’éboulement de pierres s’arrête, pour laisser apparaître des sons de gouttes d’eau.
L'ENVIRONNEMENT SONORE, LA DANSE ET LE CADRE
La relation entre les sons d’éboulement de pierres et la danse est vivante en cela qu’elle change de sens au fur et à mesure de la chorégraphie, ou des lieux dans lesquels la danse est produite. Par exemple, des mouvements de “glissée”, de “coulée” le long du mur, sont nourris par le son des pierres qui tombent, celles-ci sont alors totalement présentes dans l’espace, le rapport semble évident avec la vision des corps sur le mur.
Quand les corps grimpent, le son des pierres reste concret, mais il est plutôt entendu comme provenant d’un empilement, la vision des corps a donc transformé l’écoute, et l’imaginaire du spectateur, alors que le son diffusé n’a pas changé.
Pendant la danse debout dans l’espace, les mouvements sont plus abstraits, et le son des pierres se dégage davantage comme une musique en tant que telle, concrète ou acousmatique, les pierres sont moins “entendues” que leurs sons propres, une “composition”, des “mélodies” apparaissent, on s’attache à l’écoute des qualités sonores plus qu’à leur provenance, on ne colle plus le terme “pierre” à “l’imaginaire” du son que l’on entend, et l’évolution de la danse fait qu’on ne discerne plus la boucle sonore, statique, mais qu’elle devient une pièce musicale, construite, évoluant à son tour.
A chaque lieu où nous avons présenté la pièce correspondait un imaginaire d’écoute différent, influençant la perception du spectacle présenté et notre évolution dans l’interprétation.
Olga de Soto et Pascale Gigon, Juin 1996