© Jorge León

© Jorge León

Tout s’écoule, Aristote

I believe that if I act… (… upon the dimension of time it will be difficult to find myself at the place where I am expected to be)* est une première approche de trois des quatre paradoxes que Zénon d’Élée écrivît vers l’année 465 avant J.C. pour défendre les théories de son maître Parménide, et dans lesquelles il niait l’existence du mouvement.

Ces paradoxes sont :

PARADOXE DE LA COURSE À PIED
Achille doit parcourir la distance existante entre deux points ; cependant, avant ceci, il doit avoir parcouru la moitié de la distance qui sépare ces deux points. Et avant de parcourir cette distance, il doit parcourir la moitié de la distance existante entre son point de départ et la moitié de la distance totale ; et ceci à l’infini. Ce qui veut dire qu’Achille ne pourra jamais partir, car la distance (de plus en plus petite) est divisible à l’infini.

PARADOXE D'ACHILLE ET LA TORTUE
Considérons qu’Achille, célèbre pour sa rapidité à la course, se trouve confronté à une lente tortue, qui a un léger avantage sur lui. Pendant qu’il récupère cette différence, la tortue prend un nouvel avantage, mais cette fois-ci plus petit que le premier, car Achille court plus vite. Quand Achille atteint le point que la tortue vient juste de quitter, celle-ci a avancé à nouveau, et ainsi de suite à l’infini, de telle sorte qu’Achille ne pourra jamais rattraper la tortue.

PARADOXE DE LA FLÈCHE QUI VOLE
La flèche qui vole est, à chaque instant et à chaque point de sa trajectoire, immobile. Car, à chaque instant, elle occupe un espace égal à elle-même, et si l’on admet que chaque durée et chaque étendue sont composées d’éléments indivisibles (points et instants), alors la flèche, nécessairement, doit être en repos partout et ceci tout le temps.


Mon premier sentiment en lisant ces paradoxes fut une impression d’absurdité liée au discours de négation du mouvement que Zénon défendait, et qui me servit comme source d’inspiration. Comment la flèche peut-elle parcourir une distance quelconque, si à chaque instant elle reste stationnaire ? Comment danser la non-existence du mouvement ? Peut-être sans arrêter de bouger ni de se déplacer.

Ces paradoxes impliquent la constante mise en question du mouvement, et mon intention en les utilisant n’était ni de les réfuter ni de les démontrer, mais plutôt de les employer comme un outil avec lequel établir des situations de “mise en danger” continuelle, par le biais de la distribution des “rôles” (des personnages des paradoxes), parmi les paramètres dont je disposais, la danse et la musique, le temps et l'espace. Le jeu choisit est celui d’être tortue, Achille et la flèche à différents moments et en même temps, en utilisant les différents paramètres et éléments en jeu. Ainsi, la danse peut être Achille courant après la tortue, alors que la musique joue le rôle de la tortue. Ou la musique fugace peut être Achille, vaincu, essayant de rattraper la tortue silencieuse qui cherche son adversaire tout au long du temps (les scènes), de la même manière que la flèche suspendue occupe sans cesse, dans sa trajectoire interminable et sans déplacement, un espace égal à elle-même.

C’est alors que l’emploi des paradoxes devient un catalyseur pour créer des décalages continuels entre le rythme de la musique et celui de la danse, les impulsions musicales se faisant écho du mouvement, autant que le mouvement poursuit la musique en quête de simultanéité. Un jeu donc, comme si les trois personnages étaient là, en même temps, chacun avec sa perception particulière.

Les déphasages créés entre musique, danse, temps et espace ont été imaginés afin de donner corps aux décalages entre désir et action, ou entre ce que l’on voudrait et ce que l’on fait. Et c’est cette dualité action-réaction, désir/impulsion - raison/réflexion, penser et faire qui sont ici à l'œuvre.


LA PLACE DE LA MUSIQUE
Undo - monodie pour clavecin composée par Thierry De Mey et interprétée par Jean-Luc Plouvier, occupe une place principale dans la structuration musicale de la chorégraphie. Undo est un paradoxe écrit pour un instrument à clavier (par définition polyphonique), car c’est une monodie dans laquelle il n’y a jamais deux notes en même temps, à l’exception des deux accords qui ouvrent le premier et le troisième mouvement. Cette monodie, paradoxe renversé, n’essaye qu’une chose : créer une polyphonie par des jeux d’oscillations en récréant une harmonie.

À cette œuvre s’ajoutent deux compositions de Carl Philippe Emanuel Bach : une fantasia  pour piano forte, avec laquelle s'ouvre la pièce, et le troisième mouvement de la Sonata en sol mineur per il cembalo solo. Ce sont des œuvres qui reflètent l’excentricité du compositeur, avec une notation insolite pour son époque (partitions sans mesures), et une recherche continuelle de difficultés, surprenante pour son temps.

Dans le choix de ces trois compositions musicales il y a, en plus du désir de confronter les paradoxes qu’elles représentent, aussi éloignées soient-elles, l’envie d’entourer la chorégraphie d’un univers sonore témoignant de l’évolution de la sonorité de certains instruments à clavier.

En contrepoint à l'utilisation de ces compositions pour instruments à clavier, je choisi une chanson des pygmées Baka, avec la volonté de juxtaposer la notion de ‘temps cyclique’, présente dans celle-ci, au ‘temps linéaire', présent dans les compositions.

Olga de Soto, Bruxelles, 1993

* Je crois que si j’agis en fonction de la dimension du temps il sera difficile de me trouver à la place où je suis supposé être

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