Selon Hartmut Rosa, les structures temporelles de la « modernité tardive » peuvent être décrites sous l’angle d’une triple accélération : l’accélération technique, l’accélération du changement social et l’accélération du rythme de vie. La première, de type technique et technologique, renvoie au rythme croissant de l’innovation dans les domaines de la communication, de la production et des transports. La deuxième désigne l’augmentation de la vitesse à laquelle se transforment les pratiques en cours dans la société. La troisième touche à l’expérience existentielle des individus contemporains, qui éprouvent de manière de plus en plus profonde que le temps leur manque ou leur est compté, dans la mesure où ils sont amenés à accomplir plus de tâches en moins de temps. 

Paper Lane s'inspire également de l’action utilisée par Sophie Whettnall dans son œuvre Longueur d’ondes et dans sa série Plaster Landscapes, toutes deux réalisées en papier. Ces œuvres présentent une superposition de surfaces de papiers déchirés, condensant une multiplicité de déchirures plus ou moins parallèles, dont les traces décrivent des montagnes et des paysages. Elles concentrent une profusion de gestes contenus dans ces couches de feuilles devenues les strates qui constituent les tableaux de ces séries. Les créations de Sophie Whettnall résultent d’une cadence du geste qui joue de manière simultanée avec la mémoire du mouvement, répété déchirure après déchirure, la matérialité de sa trace, visible dans chacun des lambeaux, et la réalisation d’une prolifération de lignes qui fait référence aux pratiques conceptuelles.

Ces différents éléments sont la source d'inspiration de cette performance où la multiplicité des surfaces et des gestes sinusoïdaux, contenus dans chacun des tableaux de Sophie Whettnall, sont condensés en une seule surface et réduits à un seul mouvement rectiligne et continu. Paper Lane se présente ainsi comme une intervention au cours de laquelle un seul et unique geste, dilaté, est déployé en un mouvement constant, dont la réalisation dessine l’espace et génère le temps de l’action. Ce mouvement ininterrompu est consacré à déchirer une longue surface de papier (de 10 mètres de long minimum) de manière continue, et concentré ainsi à fendre celle qui est à la fois son trajet et son support. Dans ce geste l’attention est portée sur le présent de l’action, alors que la main coupe la matière, ouvre un espace et creuse un sillon, devenant simultanément rituel, acte d’endurance et de méditation.

L’action déployée présente une performance du temps qui s'appuie sur une approche phénoménologique de l’expérience de la présence dans le geste, portée par la déchirure soutenue du papier et par les mouvements du corps, qui centimètre après centimètre réajustent sa position. Le temps est ainsi produit par la performance, alors que le « maintenant » de l'expérience est défini comme un flux temporel investi entièrement.

La performance Paper Lane a été imaginée durant la création du spectacle Mirage (2019), dont les éléments plastiques sont le fruit d’une première collaboration avec la plasticienne Sophie Whettnall. Paper Lane a été présentée pour la première fois dans le cadre de l’exposition de Sophie Whettnall et Etel Adnan La banquise, la forêt et les étoiles, à la Centrale for Contemporary Art, à Bruxelles, et présentée comme partie intégrante de Mirage  déplacement, dans le cadre de Brussels Art Summit.

Olga de Soto, 2020.

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