Jean-Jacques Delfour
FLAMMES ET FEMMES

Un double duo, de danseuses et de pianistes. Le titre, le « blues des usines de coton de Winnsboro », est celui de la pièce pour deux pianos écrite par Frederic Rzewski sur une chanson des travailleurs des usines de coton de la Caroline du Nord. Mais elle n'a rien d'un blues. Il s'agit plutôt d'une explosion endiablée et rhapsodique, une exaltation rouge et or, charbon écarlate détonant en arabesques fugitives et blanches, un volcanisme pianistique.

Cette musique s'élève comme une vibration tellurique ascensionnelle. Elle naît d'abord dans les jambes des danseuses, puis s'installe "vers" les hanches selon la judicieuse formule de la chorégraphe. De là, le tumulte gagne le buste qui virevolte, les visages qui sourient dans une jouissance communicative ; les bras se courbent et se recourbent dans une clameur qui monte en tourbillons vers un ciel orageux, prêt à éclater sous la pression de ces deux torches humaines. L'impression est un enthousiasme oscillant entre la frénésie et l'éblouissement. Sentiments sont créés par les corps, lianes qu'une main invisible fait tournoyer en volutes et sinuosités, ou se métamorphosant en flammes féminines qu'un zéphyr suave trouble en lignes onduleuses et serpentines. Un plaisir analogue à celui qu'offre la peinture baroque ou même rococo. Si Alphonse du Fresnoy prescrit aux parties peintes d'avoir « leurs contours en ondes, et (de) ressembler à la flamme ou au serpent lorsqu'il se replie en rampant », si Antoine Coypel parle d'une « élégance de forme, pour ainsi dire incertaine, ondoyante et semblable à la flamme », c'est William Hogarth qui, dans The analysis of Beauty, évoque l'origine érotique de la ligne onduleuse ou serpentine dans la danse. C'est ce qui séduit dans cette chorégraphie : la fusion d'éléments vibratoires, verticaux ou ascendants, et d'éléments sinueux s'étalant en spirales voluptueuses.

Jean-Jacques Delfour, Flammes et femmes, CASSANDRE : Culture(s), Politique(s) et Société(s) No. 18 (FR), Septembre-Octobre 1997