DÉBORDS
Une magistrale leçon de mise en scène au service de la mémoire des corps. (…) Plus encore que la puissance symbolique du ballet d’origine, dont nous découvrons les différentes figures à travers les récits des interprètes (les Diplomates, la Partisane, la Mort, le Profiteur), nous sommes bouleversés par l’émotion de ces derniers, lorsqu’ils partagent avec nous les sentiments qui les traversaient pendant qu’ils dansaient, et leur trouble face à l’émotion que leur renvoyait le public. (…) L’intelligence et la profondeur de vue des danseurs, la qualité de leurs souvenirs, mais aussi leur honnêteté quand le doute les surprend à propos de tel détail de la chorégraphie, servent à plein le propos universel de Kurt Jooss : dénoncer la guerre, les profiteurs de guerre, et surtout renvoyer le public à sa responsabilité. Rarement il nous aura été donné de pénétrer d’aussi près au cœur de l’écriture chorégraphique. Nous ressortons avec la certitude étrange d’avoir assisté à une représentation de La Table Verte. Une transmission réussie, qui s’est infiltrée au plus profond de nous. Brillant.
Géraldine Bretault, Exhumer le geste par la parole, Toute la Culture (FR), 26 Novembre 2012
Tout se mêle dans le spectacle d’Olga de Soto, précis comme à son habitude. Les faits historiques se conjuguent avec les émotions personnelles les plus intimes. (…) La Table Verte (Der grüne Tisch) fait partie de ces œuvres qui marquent à vie par la puissance expressionniste, par ces ignobles personnages masqués, par cette table de négociation où le jeu et les paris aboutissant plombent la grande histoire. Le ballet possède en outre une dimension prémonitoire, en ce qu’il annonce les horreurs à venir. (…) L’actualité de l’œuvre n’est pas à démontrer. Les banquiers, les profiteurs, les réfugiés, la partisane, le porteur de drapeau, les flingues sont toujours là, comme il y a quatre-vingts ans. (…) Comme histoire(s) précédemment, Débords / Réflexions sur La Table Verte n’est pas présenté comme un documentaire, mais un travail scénique pris en charge par une compagnie. « Je n’ai pas choisi ces œuvres-là, dit encore la chorégraphe, à cause du temps qui nous sépare d’elles, mais à cause du contenu, des sujets qu’elles traitent et des contextes de création, tous deux liés à des périodes d’après-guerre. » Avec elle, on apprend beaucoup et intelligemment.
Marie-Christine Vernay, La Table Verte toujours dressée, Libération (FR), 23 Novembre 2012
Comment transmettre, donner à voir, à entendre, à sentir une œuvre et son impact ? Ce défi, Olga de Soto le relève dans un spectacle dont la relative aridité n’éclipse jamais la profondeur et la portée de la parole. Ses témoins, filmés, choisis (il faut souligner la qualité et l’efficacité du montage qu’elle co-signe avec Julien Contreau), sous-titrés, disent et tracent, par le souvenir, un moment de leur vie qui pour certains les a profondément modifiés. C’est d’une onde de choc qu’il est ici question, interrogation irrévocable, lancinante, aux ramifications infinies.
Marie Baudet, Recherche, reflets, réflexions, La Libre Belgique (BE), 16 Novembre 2012
De Soto a très bien compris qu’une simple reconstruction de cette œuvre renommée, créée peu avant la prise du pouvoir des nazis en Allemagne, serait tout à fait insuffisante à l’heure actuelle. Au lieu de quoi elle a donc interviewé des personnes ayant participé à la tournée allemande de la reprise du spectacle en 1946 et s’est inspirée des enregistrements vidéo pour chorégraphier une structure animée destinée à la scène. Le résultat est réussi jusqu'au moindre des détails.
Helmut Ploebst, Der Standard (AT), 24 Mars 2013
Quand d'autres chorégraphes s'attachent à danser une fois de plus une œuvre du passé pour en immortaliser sa forme dans une nouvelle interprétation, Olga de Soto met en avant la force du témoignage, stipulant ainsi que l'impact du vécu en dit davantage sur la création que son actualisation contemporaine. (…) Raconter ce dont ont se souvient, ce qu'on a traversé avec ses oublis, ses moments d'hésitation, de confusion et parfois le souvenir vivace d'un instant qui revit grâce à l'éclair d'une situation personnelle, voilà ce qui est au cœur de Débords / Réflexions sur La Table Verte. Le titre choisi par Olga de Soto vient affirmer ces débordements de sources, d'archives et tous ces moments où se rencontrent, dans les témoignages recueillis, histoire intime et histoire collective, ce que Christiane Boltanski nomme autrement la petite et la grande mémoire. (…) Si dans le cas d'histoire(s) et de Débords / Réflexions sur La Table Verte, les mots viennent supplanter les images qui seraient celles de la danse, Olga de Soto fait pourtant œuvre de chorégraphe lorsqu'elle préfère faire danser devant nos yeux des mots plus que des gestes, comme Chris Marker faisait œuvre de cinéaste lorsqu'il avait choisi aux images de charniers de la guerre en ex-Yugoslavie, le témoignage en plan fixe d'un casque bleu français racontant "son" expérience de la guerre (Casque bleu, 1995). Aussi, histoire(s) et Débords / Réflexions sur La Table Verte, sont-elles non seulement des jalons dans la constitution d'une mémoire de la danse et une alternative à la façon dont peut s'écrire une "histoire de la danse", mais ces deux œuvres ont également cette qualité et cette capacité de se placer non pas dans l'histoire, mais face à l'histoire, c'est-à-dire à devenir des témoins nécessaires du passé.
Valérie Da Costa, Débordements d'archives, Mouvement #69 (FR), 26 Avril 2013
Par une mise en scène épurée et complexe, Olga de Soto nous transmet les échos éternellement actuels d’une œuvre phare de la danse du XXe siècle. (…) Ce dont il est question d’abord, c’est d’émotion pure. Face à l’horreur de la guerre, toujours déjà là, en germe, en devenir, en revenir ; face à l’éternel recommencement de l’ignoble ; face au triomphe de la mort de l’homme, assuré par l’homme lui-même.
Thierry Defize, Souvenirs de La Table Verte, Karoo (FR), 12 Juin 2014
Entamé dès 2006, le travail d'Olga de Soto sur La Table Verte a trouvé une première matérialisation scénique en 2010 avec Une Introduction. Dans cette lecture-performance, la chorégraphe présente ses recherches et aborde le processus créatif et le questionnement dramaturgique qui préfigurent une plus grande production à venir. Construite sur base d'images, de textes et d'interviews filmées, cette conférence introductive a été pensée par Olga de Soto comme un spectacle en soi, fondé sur une dramaturgie régie par un double rapport au temps : du présent vers le passé, et vers le futur. (…) Ce spectacle-ci met en scène le matériel filmé recueilli au cours des ans en le confrontant à six interprètes sur le plateau. Six interprètes qui ne cherchent pas à entrer dans un rapport de forces, perdu d'avance, avec l'image vidéo et le contenu qu'elle transmet, mais plutôt à faire voir. Comment “porter” cette image lourdement chargée ? Comment la décharger, ou la recharger ? Comment y faire circuler le regard ? (…) Olga de Soto est une chorégraphe importante, exigeante, profondément concernée par la danse, l'art, le politique et la vie, sur lesquels elle pose des questions essentielles. Une chorégraphe qui regarde le passé pour se tourner vers l'avenir.
Aujourd’hui, que reste-t-il ? Comment convoquer le passé sur scène ? (…) "Ce qui me préoccupe, c’est de savoir comment le temps dégrade, comment les expériences érosionnent les souvenirs des uns et des autres.” Autrement dit, qu’est ce que le temps fait à la perception des œuvres ? (…) En ne privilégiant aucune restauration, mais en réactivant, sans intervenir, les traces à travers les témoignages, Olga de Soto déploie l’œuvre dans toute son étendue. Le voyage est historique, mais il est aussi intime. (…) Sur scène, comment se jouer de la surface de projection des écrans ? Avec ses six danseurs, la chorégraphe est traversée par une avalanche de questions : Comment porter cette mémoire ? Comment creuser dans l’image ? Comment la révéler par le déplacement physique et mental ? La perspective d’un voyage non commémoratif, mais mémorable, est annoncée.
Charlotte Imbault, Fouiller la mémoire, Mouvement (FR), 20 Novembre 2012
(…) tout forme un ensemble parfaitement maîtrisé, jamais désordonné ou confus, qui manifeste la richesse de signification d’une œuvre majeure, et aussi la profusion des regards et des discours qu’elle peut susciter, tant pour et par la réflexion présente que dans le souvenir. (…) Mais l’un des aspects les plus remarquables de l’œuvre d’Olga de Soto est qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir vu ni même de connaître au préalable La Table Verte. Car à mesure que les intervenants évoquent cette œuvre qu’ils connaissent, eux, parfaitement, une mémoire en quelque sorte de substitution joue son rôle chez le spectateur même ignorant : ce sont d’abord les souvenirs d’autrui qui peu à peu fabriquent dans l’esprit une image, propre à chacun, de ce qu’a pu être l’œuvre : alors, ce sont exclusivement les mots qui créent l’image fictive d’un spectacle de danse, soit l’image d’une forme d’expression qui, précisément, se passe absolument de paroles. (…) Loin de se réduire à un documentaire, le travail d’Olga de Soto constitue donc bien une œuvre à part entière, qui elle-même interroge ce que c’est qu’une œuvre d’art, et ce que c’est qu’une expérience artistique, à la fois pour les artistes qui la créent et pour le public qui la reçoit. Elle permet de réfléchir aussi bien sur l’ancrage profond de cette œuvre dans son temps et son contexte, mais aussi ce que peut être un ‘message’ universellement valable.
François Prost, Mémoire du spectacle, spectacle de la mémoire, Bulles de Savoir (FR), 6 Janvier 2013