Tout corps, tout être, est potentiellement capable d’être le moteur d’une explosion qui puisse bouleverser l’univers quand il transforme et brise les liens physiques, sociaux ou culturels qui le retiennent dans une convention établie ou une prison fermée ; alors les corps peuvent s’envoler et s’abstraire des lois, fussent celles de la pesanteur.
Laurent Busine,> Sur un fil, tendu,> MAC’s / Musée des Arts Contemporains du Grand-Hornu)
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INCORPORER ce qui reste ici au dans mon cœur a comme point de départ le spectacle Éclats mats, créé en 2001 et repris en 2005 au Centre Pompidou, à Paris. L’idée de ce projet était née durant la dernière phase de création de ce spectacle, dont il représentait à mes yeux, la suite logique et nécessaire. Le travail chorégraphique développé a permis d’explorer et d’approfondir sur le plan conceptuel, gestuel, plastique et sonore des pistes entrevues ou abandonnées durant la création d’Éclats mats. L’objectif premier était d’aller plus loin dans l’exploration de la matière et des états corporels, dans l’occupation de l’espace et le rapport au temps mis en place durant la création de la pièce « mère », et de sonder ce que le temps, année après année, faisait à notre mémoire corporelle de danseurs.
La pièce qui en résulte est composée de quatre chapitres qui ont été créés successivement et rassemblés de manière progressive afin de former un tout. L’assemblage chronologique des noms des différents chapitres sert à déterminer le titre de l’ensemble et à définir l’action principale de chaque nouvelle étape. Ces différents chapitres, créés tels un jeux de relais, ne sont pas la succession de solos qu’ils semblent être, car ils pourraient tout autant être des duos, des trios ou des quatuors. Leur particularité est d’être des « solos accompagnés ». En choisissant la forme du solo, et en la détournant, j’ai souhaité approfondir la solitude mise en scène dans le spectacle Éclats mats, parfois en l’accentuant, parfois en l’atténuant. Ce qui m’intéresse c’est cet état très rare de présence que la situation du solo génère, et la dynamique intérieure nécessaire au « toucher interne » que cette forme sollicite.
Le premier solo accompagné avait été créé pour et avec Vincent Druguet, en mars 2004, dans l’immensité de l’espace nu de la grande salle du Centre Pompidou. La série de pièces courtes imaginée initialement s’est transformée avec le temps en une pièce modulée par les cinq années écoulées entre mars 2004 et mars 2009, entre les créations de la première et de la dernière partie, alors que je travaillais en parallèle sur la création d’histoire(s) et que j’entamais le travail de recherche documentaire au sujet de La table verte. Vincent est resté là, dans ma tête, tout au long du chemin, mais la vie a fait en sorte que quelqu’un d’autre, Sylvain Prunenec, vienne littéralement incorporer cette matière-là, la digérer, pour nous la donner à voir autrement.
Dans ce projet, j’ai également voulu jouer avec le temps et interroger les empreintes laissées par certains événements et expériences physiques, tout en continuant de me questionner sur comment le contact, les appuis, les supports, l’observation visuelle, tactile et sonore, peuvent révéler à chacun son propre corps. Le corps a donc été investi comme outil de connaissance et de sensation, à travers un certain état de corps, une corporéité propre à chacun, à chaque nouveau volet.
La question de la distance que nous devons faire parcourir au public pour le mener à voir reste présente et motrice. Il s’agit d’un chemin qui est à construire et dont la construction se fait en équipe, lors de la représentation. Elle pose la question de ce qui est à montrer, à révéler, à chaque occasion, dans chaque nouvelle création. Chaque chapitre contient les graines des suivants, tout en étant les branches, les tiges, les feuilles, les ramifications des précédents… Être, donc, racine et feuille à la fois.
Olga de Soto, 2009