INCORPORER
Un homme seul. Un très grand espace nu. Le silence. Cette solitude a pour contrepoint la présence d’une deuxième personne qui l’accompagne du regard, en retrait, du bout des yeux. L’action principale : incorporer. Le silence est brisé par le son de l’action du propre corps sur lui-même, dans une suite d’actions qui s’articulent dans le but d’unir intimement l’interprète à lui-même et au présent de ses actions. Il s’agit d’un travail sur l’instant présent et sur un temps réel, sans personnages.
Incorporer l’air, l’eau, leurs sons, l’espace, faire qu’une chose fasse corps avec une autre ; unir intimement une matière à une autre, un élément à soi, les faire entrer comme partie dans un tout, défini, délimité, en silence. Faire corps et laisser résonner les actions et sons d’une déambulation qui se déploie au plus proche
de l’action, dans le geste intime de celui qui, concentré, est complètement absorbé par l’observation méticuleuse de ses explorations, tel un enfant.
L’interprète évolue dans un grand espace nu qui devient flexible grâce au travail sonore développé, et dont le but est de rendre visibles et audibles certaines des actions qu’il produit. Le pari consiste à s’appuyer sur de petites ou de très petites actions, réalisées dans une « économie totale de moyens », en les présentant dans ce très grand espace nu, noir. C’est un travail sur des proportions variables et sur l’articulation de concepts qui tente de laisser apparaître, de laisser voir ces actions infimes, en jouant avec l’espace comme si la distance pouvait être élastique, dans un espace-temps qui appelle à la réflexion, à la méditation.
Le travail sonore ici développé joue de la distance comme d’un soufflet et précipite le spectateur parfois tout près de l’interprète, tout contre, le laissant écouter des sons souterrains, enfouis, alors qu’à d’autres moments il le laisse à distance, en silence. L’espace devient alors flexible, grâce à l’amplification des sons des actions qui agit tel un zoom.
Dans Incorporer il y a, comme dans Éclats mats, la distance que nous devons faire parcourir au public pour le mener à «voir». C’est tout un cheminement à construire et cette construction se fait en équipe lors de la représentation ; elle pose la question de ce qui est à montrer, à révéler.
L’espace et le temps sont peut-être austères. Nous n’avons pas peur du vide, nous ne voulons pas d’accumulation, pas de forme «spectaculaire», nous ne voulons pas d’artifices. Le temps investi est défini par un échange de fluides essentiels à la vie – l’air et l’eau –, à travers lequel les interprètes dialoguent tout au long de la pièce. Incorporer est aussi un travail visant à laisser transparaître, à travers l’évolution de l’interprète au sein de ce parcours, un voyage vers une certaine libération.