UNE INTRODUCTION
L’histoire universelle et l’histoire de l’œuvre s’entretissent dans les témoignages et dans les processus de transmission qu’Olga de Soto documente minutieusement, tout en préservant un certain suspense et des rebondissements dignes d’un roman d’aventures. Sous les apparences d’une conférence, la performeuse construit intelligemment sa position d’auteur (…) et soigne la mise en scène.
Smaranda Olcèse, Olga de Soto, Une Introduction, Toute la Culture (FR), 19 Décembre 2011
Olga de Soto dans Une Introduction commence par étudier et rassembler toutes les traces de la première de La Table Verte de Kurt Jooss. Elle discute avec les témoins, accumule ses propres archives constituées de photos, de conversations, de souvenirs, de notes, de documentations, pour finalement reconstruire la réception de ce spectacle inscrit dans l’histoire internationale de la danse. Elle réunit ainsi une documentation non seulement sur la durée du spectacle La table verte dans le répertoire des théâtres du monde, depuis la première jusqu’aux temps actuels, longtemps après la mort du chorégraphe et des interprètes de la première distribution, mais elle incarne dans sa lecture performance le concept d’archives, montrant, comme Nachbar, qu’elles sont performatives et, grâce à cela, vivantes. Elle inclut dans son travail des photos et, pratique inhabituelle, invite les spectateurs à observer ensemble ces prises de vues. Elle reconstruit ainsi l’atmosphère retrouvée des années passées et les évènements qui les accompagnaient. Son travail accompli pas à pas s’apparente au processus de recherches d’un historien ou même d’un archéologue, si nous en acceptons la définition donnée par Michel Foucault selon lequel l’archéologie ne tente pas de récréer les intentions de ceux qui discouraient sur le monde, leurs pensées et leurs valeurs, mais vise à une description systématique de ce discours. Ainsi, Olga de Soto, racontant son travail de recherche et produisant au fur et à mesure les «preuves matérielles» successives, construit le processus de naissance du discours sur la représentation légendaire et les pratiques ultérieures de présentation de La Table Verte.
La conférence cohérente trouve sa chaleur dans les enregistrements vidéo dans lesquels les gens décrivent leurs expériences de première main. Le fait de parler de la danse mène les narrateurs à se mouvoir également et à revisiter leurs expériences émotionnelles. La conférence acquiert un timbre subtil de performance au fur et à mesure que la conférencière passe aux mains des membres de l'auditoire les photographies qu'elle a trouvées autour du thème. Peu à peu, tout le public acquiert le rôle du chercheur à mesure que les spectateurs touchent doucement ces trésors des archives, des photos en noir et blanc qui déploient l'histoire orageuse de La Table Verte.
Jukka O. Mlettinen, Un spectacle de danse qui prédit le fascisme, Helsingin Sanomat (FI), 4 Novembre 2013
Dans cette lecture-performance, la chorégraphe présente ses recherches et aborde le processus créatif et le questionnement dramaturgique qui préfigurent une plus grande production à venir. Construite sur base d’images, de textes et d’interviews filmées, cette conférence introductive a été pensée par Olga de Soto comme un spectacle en soi, fondé sur une dramaturgie régie par un double rapport au temps : du présent vers le passé, et vers le futur. (…) Olga de Soto est une chorégraphe importante, exigeante, profondément concernée par la danse, l’art, le politique et la vie, sur lesquels elle pose des questions essentielles. Une chorégraphe qui regarde le passé pour se tourner vers l’avenir.
Denis Laurent, Ce qui vit en nous, ce qui meurt en nous, L'Art Même n°57, pp 42-43 (BE), 2012/4
La pensée qui reste gravée à l'esprit après la représentation est précisément l'histoire de la danse et de son invisibilité dans le débat culturel finlandais et la recherche universitaire. Les créations de danse naissent dans un temps et un lieu précis, et reflètent leurs propres moments de naissance de multiples façons. Une création n'est pas seulement un ensemble de pas créés par un chorégraphe. La danse est une manière de voir la réalité. Par conséquent, il est inexplicable que l'histoire de la danse ait été complètement ignorée (…). Je ne comprends pas pourquoi l'histoire de la danse serait moins importante que l'histoire de l'art, l'histoire de la musique ou celle de la littérature. Dans le texte de Leena Pallari, Aku Ahjolinna [ancien danseur de ballet finlandais] disait: "Rien ne restera de nous pour les générations futures, et personne ne saura jamais ce que nous avons été dans ce métier."
Liisa Vihmanen, Une table verte et une robe rouge, Liikekieli (FI), 4 Novembre 2013
Pippo Delbono à Laura Valente, journaliste, au sujet d’Une Introduction : « J’ai vu ce spectacle en Espagne et j’ai été très impressionné par cette œuvre qui raconte l’histoire d’un spectacle qui avait été conçu pour frapper au cœur de la dictature de Hitler. J’ai été aussi très ému de voir Pina jeune danser. Et j’ai compris le pourquoi de son parcours dans un théâtre fortement politique. »
Laura Valente, Nessuna paura : il programma lo fa Pippo Delbono, La Repubblica (IT), 26 Juin 2015
S'il est admis et entendu de redonner une pièce chorégraphique parce que la transmission du geste est constitutive d'une mémoire de la danse davantage visuelle que scripturale, cette question se pose en d'autres termes pour la performance qui fait du reenactment l'un de ses enjeux majeurs et problématiques. Car, la vidéo, la photographie, et l'objet, cette "chose morte" que conservent les musées comme trace de l'action possiblement à réactiver ou non, font partie de la mémoire de la performance.
Valérie da Costa, Débordement d'archives, Mouvement #69 (FR), 26 Avril 2013
Cette Table Verte, par exemple, vous avez voulu littéralement la mettre sur la table. Comme une pièce maîtresse que vous auriez à découper, un corps qu’il vous reviendrait d’ausculter, comme si vous aviez pris l’engagement de discerner pourquoi les choses deviennent ce qu’elles sont. Cela ne vous suffit pas de savoir que cette œuvre de Kurt Jooss figure sans doute l’origine de la danse politique — vous dites plutôt socio-politique— ce n’est pas tellement cette Histoire qui semble vous importer, mais toutes les autres : celles qui y mènent et celles qui en découlent. Au cœur de votre démarche, on trouve le mot « processus » c’est-à-dire progression. Et c’est fort utile parce que nous manquons terriblement de gens qui s’intéressent aux moments pivots. A quel instant précis les choses changent, comment cela prend forme et comment cela prend force un mouvement, un changement, un bouleversement, une catastrophe…
L'envoi de Paul Hermant, Musiq3, RTBF / Radio Nationale Belge (BE), 10 Novembre 2012
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